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Aristote: conseil en communication

Le grand philosophe grec Aristote a beaucoup réfléchi sur le langage. Le langage, c’est à l’évidence un outil
de communication. Mais, la communication est-elle un langage ? Et de quoi doit être fait le langage pour faire une bonne communication ?

Aristote a identifié deux spécificités de l’être humain face au reste du règne animal : l’homme est le seul être doué de langage ; l’homme est un animal politique. Qu’est-ce que cela signifie ? D’abord que le langage est la « diérence spécifique », qui définit l’homme. Ensuite, que l’homme est un être qui ne saurait vivre qu’en communauté. C’est en eet seulement parce que les hommes disposent d’un langage commun, qu’ils sont capables de s’entendre et de vivre ensemble. « Il est évident, écrit Aristote, que l’homme est un animal politique, bien plus que n’importe quelle abeille ou n’importe quel animal grégaire. Car […] la nature ne fait rien en vain. Et seul parmi les animaux l’homme a un langage. »

C’est là où il faut distinguer la communication du langage, comme le fait Émile Benvéniste dans ses Problèmes de linguistique générale. Prenons le cas bien connu des abeilles : leur message n’appelle pas de réponse, mais seulement une réaction ; de même, les chimpanzés font ce que l’on appelle un usage simplement « injonctif » du langage, c’est-à-dire uniquement pour demander ou ordonner quelque chose. Ils ne dialoguent pas à proprement parler, ce qui est pourtant le propre d’un langage authentique. Les codes dont ils font usage (danses, gestes, symboles dessinés sur des jetons) ne sont pas vraiment des codes constitués de signes linguistiques, mais plutôt de signaux (on dira ainsi qu’un mot est un signe linguistique, mais qu’un feu rouge est un signal qui enjoint à l’automobiliste de s’arrêter). Enfin, on remarquera le caractère relativement pauvre du contenu des « messages » animaux : ceux des abeilles n’ont pas d’autre objet que la nourriture ; les singes disposent d’un vocabulaire limité aux objets et actions concrets et n’usent que d’un nombre d’énoncés limités, sans jamais innover : aucun singe ne saurait raconter une histoire inventée par exemple, ni faire de l’humour.

En distinguant ainsi le langage de la communication, ces philosophes nous disent en négatif ce qu’est une bonne et une mauvaise communication : une mauvaise communication est pauvre, descendante injonctive ; une bonne communication est transverse, riche et créative. C’est ce qu’explique Noam Chomsky, grand linguiste contemporain, pour lequel le langage humain se caractérise par son « aspect créateur », par cee « faculté spécifiquement humaine d’exprimer des pensées nouvelles et de comprendre des expressions de pensées nouvelles dans le cadre d’un langage institué ». Qu’est-ce qu’un
langage libre ? C’est une expression indépendante de toute réaction à des stimulations internes ou
externes, c’est la réflexion, pas la réaction.

On retrouve ainsi Aristote qui définit avec le « triangle rhétorique » les trois usages que l’on fait du langage pour convaincre. La réflexion est donc première : c’est le logos, la logique et rationalité. C’est la persuasion par le raisonnement. Il faut de la clarté dans le message, une logique dans le raisonnement illustrée par des exemples justes et impactant. Le logos, c’est ce qu’utilisent les scientifiques pour convaincre, c’est la fonction que les entreprises meent en œuvre pour expliquer ce qu’elles font, pourquoi elles s’engagent, comment elles meent en œuvre leur stratégie.

Mais, ce n’est pas tout. Comme le dit Aristote dans La Rhétorique, « quand nous posséderions la science la plus exacte, il est certains hommes qu’il ne nous serait pas facile de persuader en puisant notre discours à cee seule source. » Il y a deux autres éléments clés pour persuader : l’ethos et le pathos. Les révolutionnaires de mai 1968 disaient à leurs interlocuteurs : « d’où parles-tu camarade ? » Ce qui était en jeu, ce n’était pas le lieu où se trouvait celui qui parlait mais l’environnement intellectuel, politique, idéologique et religieux qui le constituait. Cet environnement, c’est l’éthos, cet ensemble de considérations qui provient de la personnalité de l’orateur. On a tendance à croire les gens que l’on respecte. Quand on s’exprime en public on est précédé d’une réputation : celui qui écoute analyse ce qui est dit en fonction du statut de celui qui parle. On l’a vu pendant la crise sanitaire : la parole d’un responsable politique n’était pas perçue de la même manière que celle d’un médecin. Souvent, le politique avait besoin de l’ethos du médecin pour crédibiliser sa parole. Mais, le logos et l’ethos ne font pas tout : ce sont des usages rationnels. Or, le langage, c’est aussi un usage des émotions, le pathos, cet ensemble de moyens utilisés pour persuader un public en faisant appel aux émotions, à la sympathie et à l’imaginaire. Utiliser le Pathos n’engage pas uniquement l’émotion de l’auditoire mais permet aussi au public de s’identifier aux arguments de l’orateur. La manière la plus commune d’y parvenir est d’utiliser la narration ou de raconter une histoire qui adapte la logique rationnelle en un objet palpable et présent. Prenons un exemple : une publicité pour un dentifrice peut mere en œuvre un scientifique qui explique les vertus sanitaires du produit avec force chires, preuves, démonstrations savantes : il fait usage du logos. En meant en scène ce médecin, elle fait appel aussi à son ethos : le scientifique parle au nom de la science. Enfin, quand la publicité fait un détour par la séduction en montrant une image d’une jeune femme au sourire brillant pour illustrer le propos du scientifique, c’est au pathos qu’elle recourt. Autre exemple, un médecin parlant du Covid 19 : il a son ethos propre qui lui donne de l’autorité. Pendant l’épidémie, certains médecins ont créé des diicultés dans l’opinion quand ils ont contredit les thèses qui faisaient consensus parmi leurs pairs, comme le professeur Raoult en France qui a fait appel au pathos pour expliquer qu’il avait identifié le bon médicament et qu’il luait contre « les puissants, les labos, l’État… ». Il s’est paré de son éthos – sa scientificité et en même temps son anti-conformisme, symbolisé par ses cheveux longs – et a fait usage du logos en menant une étude – sans protocole sérieux – qui se parait néanmoins des vertus de la science. Troisième exemple : une entreprise. Quand un fabricant de voitures vante son engagement pour le climat, il met en avant les progrès de ses moteurs électriques (logos), rappelle sa responsabilité environnementale (éthos) et joue sur la corde de l’émotion avec son engagement pour la planète (pathos).

Aristote avait tout compris aux diérents usages du langage, c’était – avant l’heure – un excellent conseil en communication !

Hakim El Karoui
Corporate Writing Professor à Story School

Ancien étudiant de l’École normale supérieure, Hakim El Karoui est un essayiste français, consultant et acteur associatif. Il a créé sa société de conseil (Volentia) en 2015, ainsi que deux associations (le Club du XXIe siècle et les Jeunes leaders méditerranéens) et travaille actuellement avec l’Institut Montaigne. Hakim a été directeur du bureau de Brunswick Paris entre 2021 et 2023. Auparavant, il a été directeur chez Rothschild & Company, associé chez Roland Berger et a notamment été responsable des discours du Premier ministre Jean-Pierre Raarin.

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