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Du Leadership empathique

Dans un discours inspirationnel au MIT, en 2017, Tim Cook recommandait à des futurs leaders de ne jamais évacuer l’empathie de leur vie professionnelle. « People will try to convince you that you should keep your empathy out of your career. Don’t accept this false premise », a lancé le PDG d’Apple. Depuis le tournant du siècle, le monde des aaires prend conscience du rôle essentiel de l’empathie pour un meilleur leadership.

Selon un article du Harvard Business Review publié en 2022, l’empathie serait désormais considérée
comme une compétence phare pour les managers et communicants d’entreprise. Et pour cause :
l’empathie est un outil essentiel pour bien communiquer. Une étude menée par la chercheuse Melissa
Fuller, de l’Université de Twente, au Pays-Bas, montre que ce so skill est désormais considéré comme un
critère d’excellence dans la performance des professionnels de la communication.

D’où vient cette idée?

Héritée du concept allemand « einfühlung » (ressentir avec), la notion d’empathie a longtemps été conçue
comme un phénomène plus ou moins ésotérique et qui ne méritait pas d’être pris au sérieux dans le milieu
professionnel.
Si l’idée qu’une personne soit capable de ressentir les émotions des autres n’était a priori qu’une intuition, les progrès des neurosciences dans les années 1990 ont permis de mere le doigt sur les déterminants biologiques de cee aptitude relationnelle. Le chercheur indo-américain Vilayanur S. Ramachandran a découvert l’existence des « neurones miroirs », grâce auxquels nous apprenons à lire et imiter les comportements de nos pairs pour mieux adapter les nôtres. C’est en imitant leurs parents, par exemple, que les nourrissons apprennent à sourire, à crier, à donner la main, etc. Avec le temps, on apprend ensuite à se projeter chez l’autre et à percevoir ce qu’il ressent. Lorsqu’on est témoin d’un accident, on soure pour l’autre.

Le concept s’égare parfois dans la confusion entre divers termes qui lui ressemblent : la télépathie (l’accès
aux pensées des autres), la sympathie (le fait d’avoir des sentiments similaires à une autre personne) ou
encore l’antipathie (le contraire de la sympathie). L’empathie est tout simplement la capacité à se mere
à la place de l’autre, ou plus précisément, à se projeter chez l’autre pour mieux saisir ses émotions et états d’âme. Elle peut être aective (on ressent soi-même les émotions de l’autre), ou cognitive (on imagine ce que l’autre peut ressentir). Par exemple, je suis capable d’identifier l’ennui ou la démotivation chez les
étudiants qui se trouvent face à moi. Comment? Je sais lire leurs expressions faciales, leur communication
non-verbale, leur énergie. Je me mets à leur place. Conséquence? Je sais qu’il est temps de prendre une
pause.

Quel rôle joue l’empathie dans la communication des organisations?

Pour l’experte en communication managériale Tracy Brower, PhD, l’empathie cognitive est un élément fondamental du leadership. Pour amener des collaborateurs et parties prenantes à le suivre, un leader doit anticiper leurs peurs, désirs, et frustrations, afin de mieux y répondre. Concrètement, il prend en compte ces éléments pour choisir ses mots, son ton, mais aussi la temporalité de ses conversations. Dans quel état d’esprit sont les interlocuteurs? Est-ce le bon moment pour communiquer? Communiquer vient du latin communicare, qui signifie « mere en commun ». Que ce soit pour informer son public ou le faire adhérer à une idée, la communication implique donc nécessairement de se mere à la place de l’autre pour le comprendre, l’inclure dans la conversation et mieux l’aeindre. En communication interne, par exemple, l’audit est une étape essentielle et préalable à toute campagne. On ne mène pas d’action de communication sans se renseigner sur ses cibles : pas d’empathie sans écoute.

Ce constat est chiré : une étude auprès de 15 000 managers, publiée en 2016 par Development Dimensions International, concluait que les « leaders qui maîtrisent l’écoute et répondent avec empathie ont une performance globale 40% plus élevée en matière de coaching, d’engagement, de planification et organisation, et de prise de décision ». La recherche en management studies confirme qu’une posture empathique permet de gérer les tensions interpersonnelles, notamment au sein des équipes de travail. Motiver ses troupes, gérer l’humain, résoudre un conflit devenu personnel: ces défis forcent un manager à se demander ce que pensent, ressentent et désirent ses collaborateurs.

Cette conclusion rejoint d’ailleurs la théorie du développement économique de Schumpeter, qui airme que les meilleurs entrepreneurs réussissent notamment parce qu’ils sont capables de lire les aitudes individuelles et tendances sociétales qui l’entourent pour capitaliser dessus.

L’utilisation de l’empathie peut (et doit) être stratégique. C’est l’idée qui a inspiré le patron d’Amazon, Jeff Bezos, pour sa technique de la « chaise vide ». Lors des réunions internes avec ses équipes, Bezos demandait à ce que l’on garde un siège libre, pour représenter le client, dont on devait toujours tenter d’imaginer les états d’âme face aux décisions de l’entreprise. L’empathie sert, dans ce cas, à mieux cibler son audience : en se meant à la place de nos clients, on est en mesure de mieux les servir. En situation de crise, les porte-parole sont appelés à détecter les aitudes du public envers leur organisation pour adapter leur discours et envoyer les messages appropriés à leur auditoire. Pour illustrer ce propos, prenons le cas du boyco des produits Danone, au Maroc, en 2018 : après un temps de réactions peu eicaces, les communicants de crise ont fait l’eort de comprendre la frustration qui s’exprimait chez les consommateurs pour trouver la bonne stratégie de réponse; finalement une campagne

Le storytelling comme vecteur d’empathie

Raconter des histoires et ainsi partager des imaginaires collectifs renforce la capacité à ressentir de l’empathie. La force de la liérature est sa puissance évocatrice : elle expose les lecteurs à la vie des autres, à des situations qu’ils n’ont jamais vécues, et leur fait ressentir une large gamme d’émotions. De façon similaire, le storytelling en politique et en entreprise rassemble des publics autour d’histoires qui leurs rappellent d’autres récits et mythes fondateurs. Les success stories rappellent les récits épiques et les aventures de héros qui se terminent bien, des histoires qui nous touchent. La narration est un procédé de persuasion eicace notamment parce qu’elle met en scène des personnages auxquels une audience peut s’identifier, pour qui elle peut ressentir de l’empathie.

Par ailleurs, des travaux sur la rationalité narrative (comme ceux de Paul Ricoeur sur l’identité narrative, ou de Walter Fischer sur le paradigme narratif) ont montré à que les humains retiennent davantage les informations qui les ont touchés émotionnellement que les faits exposés froidement. Voilà qui rappelle cee fameuse citation que l’on aribue à la militante Maya Angelou : «les gens oublieront ce que vous dites, ils oublieront ce que vous faites, mais ils n’oublieront jamais ce que vous leur avez fait ressentir».

Une sagesse relationnelle

Dans leur livre Empathy, Philosophical and Psychological Perspectives (2011), Amy Coplan et Peter Goldie montrent que l’empathie est finalement, et avant tout, un outil d’accès à la connaissance, un eort pour collecter des données sur un interlocuteur ou une situation. Mieux lire la relation avec l’autre permet de prendre de meilleures décisions. En somme, un leadership empathique conjugue la mobilisation d’une intelligence opérationnelle et stratégique, mais aussi de l’intelligence émotionnelle. À l’instar du rhétoricien Aristote, qui appelait à conjuguer logos, pathos et pathos (argumentation logique, airmation de soi, et connexion émotionnelle), le rhéteur grec Cicéron proposait un triptyque tout aussi éloquent : « prouver est une nécessité, plaire, une douceur, et émouvoir, une victoire ». Sans nul doute, la communication est donc aussi une aaire de cœur.

Amandine Hamon
Professeur ailiée à Story School

Doctorante en communication à l’Université de Montréal, où elle enseigne la communication interne, la gestion de crise et la rhétorique. Elle anime l’émission Questions de communication sur la chaîne des aaires publiques du Canada (CPAC). Auparavant, elle a travaillé pour le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec (MIFI) et le Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM). Ses travaux de recherche portent sur le rapport aectivo-moteur des journalistes avec leur travail, le journalisme de migration et la couverture médiatique des mouvements migratoires. L’Université de Montréal lui a décerné un Prix d’Excellence en enseignement en 2023.

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